Courrier Décathlon

Monsieur,

Le Syndicat National des Moniteurs de Vol Libre a été informé que votre enseigne s’est lancée dans la vente de prestations de vol libre via une plateforme numérique, accessible à l’adresse decathlon-parapente.com.

 La passion du sport vous honore et vous l’avez largement démontré. Toutefois, nous souhaiterions attirer votre attention sur un certain nombre de points liés à votre démarche et que vous n’auriez peut être pas pris en compte.

Vous partagez avec nous de vouloir «rendre accessible le rêve de voler». C’est ce que notre Fédération Française de Vol Libre ainsi que tous les professionnels du parapente font en complices depuis 46 ans. La France est l’un des tout premiers pays où le parapente s’est développé (actuellement environ 30 000 adhérents/an à la FFVL). De nombreux pays envient notre expérience pédagogique et nous demandent d’intervenir pour créer et développer leur fédération et leur milieu professionnel. Des milliers de bénévoles et de professionnels œuvrent dans ce sens depuis près d’un demi-siècle avec réussite. Cette « démocratisation » et ce succès sont également les fruits d’un travail de confiance et de reconnaissance du professionnalisme de la filière. Toutefois, ce rêve de voler rendu accessible ne peut et ne doit pas signifier ouverture totale. Le vol libre reste une activité sportive de fort engagement.

Le parapente est classifié en « environnement spécifique » par l’article art. R212-7 (c. sport). Cette terminologie désigne une activité́ reconnue «à risque». Ainsi les responsabilités qui y sont associées ne touchent pas uniquement le seul intéressé qui pratique mais aussi, en cascade, l’ensemble des acteurs qui l’y conduisent. Il en va des constructeurs qui développent le matériel, des enseignants mais aussi de tous ceux qui ont, à un moment ou un autre, un rôle de conseil ou de vente. Dans ce cadre et malgré toutes les précautions juridiques mises en œuvre dans vos conditions contractuelles, la responsabilité de Décathlon en tant que revendeur de prestation n’est pas à exclure.

Nous souhaitons également attirer votre attention sur le fait que la montagne et les espaces de vol ne sont pas extensibles. Prendre la responsabilité de rendre la pratique encore plus ouverte alors que nous devons faire face à des problèmes de sur-fréquentation des espaces de vols qui accroissent notablement notre accidentologie parait déraisonnable.

La pression mentale sur les pilotes au moment du décollage sur un terrain exigu, les collisions en l’air, la concentration des ailes en phase d’approche à l’atterrissage, etc., tout cela agit défavorablement sur la sécurité des pratiquants mais aussi sur tous les professionnels. Certains sites ont déjà dû être régulés et malgré cela, l’accidentologie y reste importante…

La précarité de nos sites ne tient pas uniquement à cela mais aussi aux nuisances que génèrent nos allées et venues pour les riverains sur des routes et des chemins souvent inadaptés à une circulation intensive. Les maires, responsables de la sécurité publique, sont souvent en mesure de trouver des prétextes propres à convaincre les préfets de les aider à fermer nos sites.

Rendre encore plus populaire le vol libre aura donc des conséquences en terme d’accidentologie et de nuisances. L’impact atteindra nos assureurs et in fine les vôtres. Quelle perspective de déploiement d’un vol libre pour tous dans un environnement qui ne pourra plus ni s’assumer, ni s’assurer ?

Au-delà des conséquences financières et sociales pour la filière, quelle sera l’image de Décathlon dans un tel panorama ? Votre enseigne bénéficie d’une très bonne image, car elle est associée à la jeunesse et à une certaine liberté. Mais cette image demeurerait elle inchangée au regard des conséquences de la mise en œuvre de votre nouveau service sur les professionnels du secteur ?

De tous les sports outdoor, nous sommes les « travailleurs indépendants » les plus fragiles. Nous sommes plus que toute autre profession, dépendants des conditions climatiques : non seulement nous avons besoin de beau temps mais aussi nous sommes extrêmement sensibles au vent. Nous devons en permanence choisir entre « gagner de l’argent » pour vivre ou préserver notre sécurité et celle de nos clients en décidant de ne pas voler parce que le vent semble à peine plus fort que d’habitude.

La plateforme numérique de réservation de Décathlon nous fait craindre un renforcement de la concurrence entre nos structures (nouvelles marges liées à votre commission). En conséquence, une baisse de prix des prestations peut impacter les cadences de vol à la hausse. Insidieusement des prises de risque inacceptables pourraient s’observer.

Nous vous demandons donc de retirer ce projet qui est surtout :

  • Synonyme de responsabilité accrue pour votre entreprise ; quelles que soient vos clauses contractuelles, votre responsabilité sera recherchée ;
  • Synonyme d’atteinte à votre image ;
  • Synonyme de déstabilisation de la profession ;
  • Vecteur d’impact négatif sur la pratique : en multipliant les vols, vous dégradez leur qualité et augmentez les risques.

En vous mettant à dos une profession qui fait rêver, Décathlon sera bien loin de son image de liberté et d’entreprise préférée des Français.

Souhaitant avoir attiré votre attention sur une situation des plus délicates pour notre milieu, nous sommes disposés à vous rencontrer pour vous aider à comprendre les enjeux en cause.

Sportivement vôtre,
Bruno Coûteaux Président du SNMVL